Prolongation de la période de chasse en janvier : le Gouvernement arbitre au détriment des usagers
Ce jeudi 12 novembre, le Gouvernement wallon a décidé, pour une cinquième fois consécutive, d’accorder aux chasseurs un mois supplémentaire pour la chasse en battue aux cerfs et aux sangliers.
Au-delà de l’impact que cette décision aura sur tous les autres usagers de la forêt par l’accès restreint aux chemins et sentiers un mois de plus, il y a lieu de se poser des questions sur le rôle des chasseurs wallons par rapport à la régulation du gibier.
Depuis plusieurs décennies désormais, on observe une explosion des densités de sangliers partout en Europe de l’Ouest. La Wallonie n’y fait pas exception, bien au contraire : les populations de sangliers ont triplé en vingt ans.
La cause est multifactorielle : l’effet du réchauffement climatique est indéniable avec des hivers plus doux qui entraînent une mortalité naturelle plus faible et des fructifications forestières plus abondantes et nombreuses. Pour couronner le tout, le nourrissage artificiel et intempestif permet à cette espèce opportuniste de passer les hivers sans problème et de se reproduire beaucoup plus rapidement avec 3 portées tous les deux ans. On observe désormais des jeunes à toute période de l’année !
En deux décennies, en se basant sur les tableaux de chasse, on estime que les populations de sangliers ont été multipliées par trois en Wallonie
Alain Licoppe, Département de l'Etude du Milieu naturel et agricole (SPW)
Nombre de sangliers abattus ou retrouvés morts par année cynégétique.
(Source : SPW, 2022)
L’incapacité des chasseurs à réguler le sanglier s’explique simplement parce que ce n’est ni leur intérêt ni leur motivation. L’organisation de la chasse recherche avant tout la satisfaction des participants, et les profits ou la reconnaissance associée. Cela implique une présence suffisante de gibier sur les territoires de chasse pour optimiser la possibilité des pratiquants de prélever des animaux. Les gestionnaires de grandes chasses sont donc bien, avant tout, attentifs à la satisfaction de leurs clients, les chasseurs, bien plus qu’ils ne sont des gestionnaires de l’équilibre faune-flore.
D’ailleurs, demander à un chasseur pourquoi il aime cette pratique, c’est toujours se confronter à des arguments émotionnels : la passion pour la nature, l’envie de comprendre les animaux chassés, l’adrénaline au moment de la prédation, la convivialité avec les autres pratiquants… Jamais un chasseur n’avancera son rôle de régulateur avant même sa passion pour la pratique.
En favorisant uniquement une mesure d’urgence telle que la prolongation de la période de chasse en battue, le Gouvernement wallon prive encore les milliers d’usagers de la forêt de l’accès aux chemins, au profit des chasseurs. Ce sont donc tous les naturalistes, promeneurs, cavaliers, VTTistes et autres qui devront s’adapter durant toute cette période, tandis qu’ils doivent déjà composer avec l’emprise de la chasse sur les espaces naturels depuis 3 mois. Au fil des balades détournées ou avortées, des mauvaises surprises de sentiers fermés, de l’incompréhension de certaines affiches de chasse erronées et du sentiment d’insécurité des battues à cor et à cri, ce choix politique impactera tous ces représentants de la société moderne, tandis que les chasseurs, eux seront bien heureux de continuer leur pratiques si conviviales et exaltantes, tout en pouvant valoriser encore le gibier prélevé.
Prolonger les battues au grand gibier 5 années consécutives, c’est faire la part belle à un seul profil d’usagers des espaces naturels au détriment de tous les autres alors que le code forestier prévoit spécifiquement de mettre des mesures en place pour améliorer la cohabitation de toutes les activités. Il serait donc peut-être temps de se poser la question d’un éventuel décalage de la période de chasse et non pas d’une prolongation régulièrement accordée pour parvenir à cet équilibre entre usagers.
L’un des arguments régulièrement avancé par les chasseurs du Pôle Ruralité (organe consultatif du gouvernement wallon) pour justifier la prolongation des battues est celui des forêts feuillues encore trop denses en octobre pour tirer de façon efficace. On sait que cet argument tient la route étant donné que le changement climatique décale légèrement les saisons et modifie la phénologie des forêts. Par conséquent, il y a très peu de chance (aucune) que ce processus s’inverse et donc aucune raison de chasser plus efficacement au cours des futurs mois d’octobre.
De plus, octobre est un mois de grande affluence en forêt, en témoignent les promeneurs, cueilleurs de champignons, et autres amoureux de la nature de plus en plus nombreux en cette période. Il serait donc opportun d’évaluer la possibilité de décaler d’un mois la saison des battues au grand gibier de novembre à janvier, plutôt que d’octobre à décembre. Cette solution offrirait aux chasseurs une parfaite visibilité pour la régulation du grand gibier et réjouirait tous les autres usagers de la forêt. Une alternative “gagnant gagnant” donc.
Notre collectif, regroupant plus de 80 associations a pour but de faire évoluer la loi sur la chasse afin qu’elle prenne en compte les diverses sensibilités de la société (bien-être animal, biodiversité, activités socio-récréatives en forêt).
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