
En plus des nuisances subies par les riverains sur les territoires qui pratiquent les lâchers massifs, la littérature scientifique montre que ces pratiques sont une aberration sur de nombreux aspects environnementaux, sanitaires et éthiques.
Par leurs déjections, les oiseaux peuvent modifier la composition chimique de leur environnement. Pour le faisan et la perdrix, cela se limite aux sites de lâchers.
En revanche, pour le canard, l’impact est plus aigu au vu du comportement plus grégaire de l’espèce, des écosystèmes concernés (étangs, cours d’eau) et de l’agrainage pratiqué.
Les canards lâchés massivement peuvent éroder les berges par piétinement et provoquer une augmentation de la turbidité de l’eau.
Cette dernière réduit la pénétration de la lumière dans l’eau, ce qui modifie la productivité des végétaux et l’habitat d’autres espèces.
Pollution de l’eau observée sur un étang de Genappe où ont été lâchés plus de 1200 canards colverts. (photo prise en septembre 2024)
Selon une étude wallonne de 2022 (Graitson et Taymans, Natagora), les lézards et les serpents disparaissent systématiquement des zones où se déroulent des lâchers massifs de faisans :
En Belgique, la pratique des lâchers massifs de faisans est avancée comme étant, avec la destruction des habitats et la surabondance des sangliers, un des principaux facteurs expliquant la régression de l’orvet fragile (Anguis fragilis) en Wallonie (Graitson 2007).
Il faut également prendre en compte l’impact négatif des lâchers massifs de petit gibier et de gibier d’eau sur la flore, la végétation et les populations d’arthropodes : le DEMNA conclut qu’il est probable que les lâchers de perdrix, de faisans ou de canards occasionnent une herbivorie capable d’affecter les performances d’individus de taxons indigènes.
Orvet fragile (Anguis gragilis) (source : SPW)
Quand leurs proies deviennent très abondantes, certains prédateurs peuvent développer les réactions suivantes (pour les deux premiers points : Reynolds et Tapper, 1996, in Bro et al., 2006 ; Kenward et al., in Mayot, 2006) :
Ainsi, il est plausible que les populations naturelles de l’espèce gibier subissent une pression de prédation accrue dans les territoires où se pratiquent des lâchers de tir.
C’est la raison pour laquelle les gestionnaires de territoires où sont pratiqués les lâchers de tir détruisent systématique des prédateurs naturels comme le renard. Le renard est une des rares espèces qui peut être tirée toute l’année, sans aucune contrainte.
Piège à collet utilisé pour la régulation des populations de renard (témoignage de 2023)
La transmission de maladies infectieuses par les oiseaux d’élevage comme la grippe aviaire peut impacter les populations sauvages de ces espèces, d’autres espèces prédatrices ou des charognards.
À l’automne 2022, un foyer important de grippe aviaire a dû être géré au sein de population de Faisans de Colchide et de Canards colverts lâchés en Wallonie.
Il est établi que cette année-là, dans la commune de Clavier, la présence d’un très grand nombre de faisans et canards tout juste libérés de leurs enclos dans une zone infectée a eu un effet amplificateur de la crise. De nombreux rapaces sont morts à cause de la propagation par les faisans (des grand ducs, des buses, des éperviers et des milans).
De plus, les différentes formes du virus de la grippe aviaire qui apparaissent occasionnellement chez l’homme (comme les virus de sous-type H5) représentant une menace pandémique permanente (Holmes, 2022). Les riverains habitant au sein des foyers de grippe aviaire se sont donc exposés à plusieurs reprises à être contaminés par le virus en ramassant les cadavres de faisans, canards et rapaces touchés.
Faisan, canard colvert et faucon crécerelle touchés par la grippe aviaire en 2022 à Saint-Fontaine
Contrairement aux oiseaux des souches indigènes, les animaux d’élevage ne sont pas nécessairement parfaitement adaptés à l’environnement local. Les souches indigènes le sont systématiquement, par sélection naturelle sur le long terme des caractères physiques ou physiologiques qui permettent à cette population de vivre en harmonie avec son environnement.
Par exemple, l’existence de différences de comportement d’origine génétique a été mise en évidence pour le faisan (Damange et al., 2005, in Thémé et al., 2006). Cette étude attribue aux oiseaux de souche sauvage une plus forte valeur adaptative à un milieu comportant des prédateurs. On peut craindre que les animaux d’élevage, moins adaptés ou à moindre capacité d’adaptation à l’environnement local, entraînent des conséquences négatives à terme, s’ils supplantent les populations naturelles de l’espèce sauvage (soit par compétition directe, soit par métissage).
L’appauvrissement du patrimoine génétique est dû au fait que les oiseaux produits en élevage sont issus d’un petit noyau de départ (en particulier d’un faible nombre de géniteurs mâles pour le cas du faisan) et au fait que la sélection peut être dirigée, même involontairement. Par exemple, la sauvagerie instinctive, qui est un atout précieux dans la nature, devient une tare en captivité, où les animaux les plus farouches sont aussi les plus stressés. Même s’il existe des exemples de populations sauvages en parfaite santé qui proviennent de souches génétiques très étroites, a priori, l’appauvrissement génétique devrait entraîner une certaine fragilisation de la population face à l’évolution de ses conditions de vie.
Tableau de synthèse des niveaux de risque par danger identifié et par espèce (DEMNA, 2024)
En mars 2024, le Département de l’Étude du Milieu naturel et agricole (DEMNA) a publié une note sur les lâchers de tir et de repeuplement. Sur base du tableau de risques lié aux espèces (voir ci-dessus), les conclusions de ce papier sont accablantes :
Les repeuplements en faisan n’ont donc pas d’intérêt dans les conditions actuelles. Ils devraient au moins être conditionnés à une dégradation de son statut en Liste rouge (VU, EN ou CR).
Les repeuplements en Canard colvert n’ont donc aucun intérêt dans les conditions actuelles. Ils devraient au minimum être conditionnés à une dégradation de son statut en Liste rouge (VU, EN ou CR).
Les lâchers de tir sont à interdire systématiquement pour toutes les espèces de gibier d’eau et de petit gibier, à l’exception discutable du Faisan de Colchide, pour lequel un travail complémentaire mériterait d’être réalisé pour en fixer les limites.
Synthèse sur l’intérêt du maintien des lâchers de tir par espèces (DEMNA, 2024)
Notre collectif, regroupant plus de 80 associations a pour but de faire évoluer la loi sur la chasse afin qu’elle prenne en compte les diverses sensibilités de la société (bien-être animal, biodiversité, activités socio-récréatives en forêt).
Associations fondatrices :