Les lâchers massifs de petit gibier et de gibier d'eau en Wallonie

_FLD6210

Durant la saison de chasse 2024-2025, le collectif Stop Dérives Chasse a été contacté par des habitants de plusieurs communes wallonnes qui vivent un calvaire chaque année à cause de la chasse aux faisans et aux canards colverts. Véritables carnages organisés, ces pratiques font subir le pire aux animaux lâchés, aux écosystèmes mais aussi aux riverains. Cette année, Stop Dérives Chasse fait de ce sujet une priorité absolue et invite un maximum de personnes à rejoindre le combat.

Etat des lieux en Wallonie

La loi sur la chasse interdisant l’importation d’animaux appartenant aux catégories « grand gibier » et « autre gibier », seuls les lâchers de petit gibier et de gibier d’eau sont encore autorisés en Wallonie : 

  • petit gibier = Bécasse des bois, Faisan de Colchide, Lièvre d’Europe et Perdrix grise ;
  • gibier d’eau = Bernache du Canada, Canard colvert, Foulque macroule.

 

Dans la pratique, les espèces faisant l’objet de lâchers sont le Faisan de Colchide (à gauche), la Perdrix grise (au centre) et le Canard colvert (à droite) par manque d’intérêt ou à cause du rapport coût-bénéfice peu avantageux pour les autres espèces (DEMNA, 2024).

Il faut distinguer deux formes de lâchers : le lâcher de repeuplement et le lâcher de tir (DEMNA, 2024). Les repeuplements visent à développer une souche sauvage, en général au départ d’animaux d’élevage, qui se reproduira sur le territoire. Les lâchers de tir consistent à libérer dans un territoire des animaux gibier, en vue de les chasser dès que possible, sans objectif réel de gestion

Les seules dispositions réglementaires au sujet des lâchers définissent la notion de « lâcher » (article 1er de la loi sur la chasse, 1882) et autorisent le transport et le lâcher du petit gibier et gibier d’eau vivant, depuis le lendemain du jour de la fermeture de la chasse jusqu’au trentième jour précédant l’ouverture de celle-ci à l’espèce concernée, tout en limitant cette période à 15 jours pour la perdrix (article 12, al. 1er). 

Originellement, cette disposition vise à favoriser les lâchers de repeuplement. Mais, en libérant les animaux au minimum un mois avant l’ouverture de la chasse, il suffit de se rendre sur les lieux de lâchers pour constater que les faisans et canards libérés n’ont rien de sauvage, une fois la chasse ouverte. On peut donc assimiler la majorité des lâchers observés à des lâchers de tir lorsqu’on n’observe aucun aménagement du territoire spécifique pour accueillir la petite faune des plaines. 

Sans aucune autre disposition légale que celle précédemment citée, il n’y a aucune limitation en termes de nombre d’animaux lâchés, de provenance génétique et de suivi sanitaire (sauf pour la perdrix). De plus, les chasseurs ne sont pas tenus de déclarer le nombre d’animaux gibiers lâchés sur le territoire. Seules les déclarations des éleveurs sont rassemblées par l’AFSCA (agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) au niveau fédéral et l’ARSIA (association régionale de santé et d’identification animales) en Wallonie permettent d’obtenir un suivi des populations importées. 

Sur base de ces données, on peut raisonnablement penser qu’au moins 200 000 oiseaux (perdrix, faisans et canards) étaient lâchés annuellement en Wallonie, avant la mise en œuvre du plan de gestion de la perdrix (DEMNA, 2024). Si on s’intéresse au nombre d’animaux prélevés, la moyenne sur 5 années cynégétiques entre 2016 et 2020 nous indique environ 66 600 faisans, 19 800 perdrix et 40 300 canards colverts tués chaque année.

Les impacts catastrophiques des lâchers

En plus des nuisances observées sur le terrain envers les riverains, la littérature scientifique montre que ces lâchers massifs de faisans et de canards colverts sont une aberration sur de nombreux aspects environnementaux, sanitaires et éthiques.

Société

Les nuisances subies par les riverains

Biodiversité

L'impact sur la flore et la faune locale

Bien-être animal

La souffrance infligée aux animaux lâchés

Par leurs déjections, les oiseaux peuvent modifier la composition chimique de leur environnement (DEMNA, 2024). Les canards causent davantage des troubles étant donné leur  comportement grégaire, les écosystèmes qu’ils convoitent (étangs, cours d’eau) et l’agrainage pratiqué.

Selon une étude wallonne de 2022 (Graitson et Taymans, Natagora), les lézards et les serpents disparaissent systématiquement des zones où se déroulent des lâchers massifs de faisans. En Belgique, la pratique des lâchers massifs de faisans est avancée comme étant, avec la destruction des habitats et la surabondance des sangliers, un des principaux facteurs expliquant la régression de l’orvet fragile (Anguis fragilis) en Wallonie (Graitson 2007). À ces taxons s’ajoutent les populations d’arthropodes et la flore, tout autant menacés par les lâchers massifs, ainsi que la destruction systématique par les chasseurs des prédateurs naturels comme le renard.

La transmission de maladies infectieuses par les oiseaux d’élevage comme la grippe aviaire peut impacter les populations sauvages de ces espèces, d’autres espèces prédatrices ou des charognards. À l’automne 2022, un foyer important de grippe aviaire a dû être géré au sein de population de Faisans de Colchide et de Canards colverts lâchés en Wallonie. De plus, les différentes formes du virus de la grippe aviaire qui apparaissent occasionnellement chez l’homme (comme les virus de sous-type H5) représentant une menace pandémique permanente (Holmes, 2022).

Les lâchers sont d’autre part une réelle source de maltraitance animale. Les préoccupations de ces pratiques concernent (Feber et al. 2020) :

  • la phase d’élevage : stress dû à la détention et aux surdensités en cage, usage de dispositifs anti-picage, risques sanitaires, blessures ;
  • la phase de vie en liberté : inadaptation de ces oiseaux à leur environnement (risques de famine, de maladie, de prédation) et risques de blessure par la chasse ;
  • la phase de transport (Jahren et al. (2023)) entre les volières d’élevage et les sites de lâchers.

Une pratique critiquée depuis des années

Depuis des dizaines d’années, le sujet des lâchers massifs et plus généralement de « la problématique de la chasse » est bien connu du monde politique. Fin 2003 déjà, le Parlement wallon votait à l’unanimité une résolution qui contenait notamment le principe suivant (PW, 2003) : « Il n’y a chasse que quand l’animal chassé est un animal sauvage capable de se défendre ayant pu se développer, se déplacer, s’alimenter et se reproduire dans des conditions naturelles. »

En 2023, c’est des chasseurs eux-mêmes que venait une impulsion progressiste vis-à-vis de certaines pratiques déviantes. Une quarantaine de représentants du monde de la chasse (conseils cynégétiques, Royal St-Hubert Club de Belgique, Ligue des Chasseurs, section « chasse » du Pôle Ruralités, etc.) ont ainsi signé et envoyé un courrier demandant notamment l’arrêt des lâchers de tir au Ministre Willy Borsus.

À la fin de l’année 2023, c’était au tour de Georges-Louis Bouchez, président du MR, de réagir sur la questions des lâchers massifs pour le tir suite à l’interpellation d’une riveraine de la commune de Clavier : “ À ce titre, et pour répondre à votre question, les seuls lâchers qui ont notre faveur sont ceux qui ont pour but le repeuplement. » 

En marge des élections régionales de juin 2024, tous les partis interrogés par le collectif Stop aux Dérives de la Chasse (PTB, PS, Ecolo, DéFI, Engagés et MR) se sont positionnés contre les lâchers massifs d’oiseaux d’élevage pour le tir. Malheureusement, la Déclaration de Politique Régionale parue en juillet ne promet aucune mesure concernant ces pratiques.

Enfin, c’est la principale association de chasseurs en Belgique elle-même, le RSHCB, qui a publié en mai 2024 la “charte belge pour une chasse respectueuse” (RSHCB, 2024) où certains principes liés aux lâchers massifs de petit gibier sont cités :

  • « Je prône la qualité plutôt que la quantité. »
  • « Si je peux réintroduire du petit gibier en Wallonie, je veille à le faire avec des souches saines et en harmonie avec la capacité d’accueil de mon territoire. »

Nous y aurions presque cru si le président du RSHCB n’avait pas déclaré, quelques mois plus tard, que les conditions d’élevage et de lâcher du petit gibier “ne sont pas un véritable sujet pour nous”, suite à une interrogation par la presse au sujet de la suite des travaux du Conseil Wallon du Bien-être Animal (L’Avenir, 2024).

… et remise en cause par l’administration wallonne elle-même

En mars 2024, le Département de l’Étude du Milieu naturel et agricole (DEMNA) a publié une note sur les lâchers de tir et de repeuplement. Les conclusions de ce papier sont accablantes (DEMNA, 2024) : 

  • Les repeuplements en faisan n’ont donc pas d’intérêt dans les conditions actuelles. Ils devraient au moins être conditionnés à une dégradation de son statut en Liste rouge (VU, EN ou CR).
  • Les repeuplements en Canard colvert n’ont donc aucun intérêt dans les conditions actuelles. Ils devraient au minimum être conditionnés à une dégradation de son statut en Liste rouge (VU, EN ou CR).
  • Les lâchers de tir sont à interdire systématiquement pour toutes les espèces de gibier d’eau et de petit gibier, à l’exception discutable du Faisan de Colchide, pour lequel un travail complémentaire mériterait d’être réalisé pour en fixer les limites.

… qui se frotte à un immobilisme complet malgré l’évidence

Même si la loi sur la chasse du 28 février 1882 prévoit en son article 12, dernier alinéa, que “Le Gouvernement détermine, après avis du Pôle ruralité, les conditions auxquelles est soumis le lâcher du petit gibier et du gibier d’eau”, cette mesure n’a été exécutée que très récemment par l’AGW quinquennal d’ouverture et de fermeture de la chasse du 29 mai 2020 et ce uniquement pour la Perdrix grise. Ce qui signifie que les lâchers de toute espèce autre que la Perdrix grise (faisans, colverts, lièvres) sont à considérer comme illégaux

Après vingt ans, malgré la faible acceptation sociale et les preuves scientifiques évidentes (voir ci-dessus), il faut bien constater que la loi n’a pas été révisée et fait toujours l’impasse sur le sujet des lâchers de tir. De façon plus large,  pratiquement aucune des recommandations de la résolution du Parlement de 2003 n’a été mise en œuvre. La faute sans doute à des gouvernements trop peu entreprenants face aux représentants visibles, véritables lobbyistes, du monde de la chasse. Ces derniers ont fait un travail remarquable ces dernières années pour empêcher toute réforme et conserver des valeurs totalement dépassées.

Le sujet reste toutefois abordé dans les discussions au gouvernement wallon, avec des interpellations récentes en Commission de l’Agriculture et de la Ruralité (PW, 2024) ainsi que des déclarations dans la presse du cabinet de la Ministre de la Chasse Anne-Catherine Dalcq déclarant qu’il faut “évaluer la situation” et que “toute décision qui serait prise le sera à l’aune du risque sanitaire“ (L’Avenir, 2024). 

Lors du premier trimestre 2025, le cabinet de la Ministre s’est affairé à rédiger le prochain AGW (Arrêté du Gouvernement wallon) quinquennal, définissant les dates de l’ouverture, de la clôture et de la suspension de la chasse, de 2025 à 2030. Ce texte de loi devant entrer en vigueur pour le 1er juillet 2025, il sera possible d’interpeller notre gouvernement après cette date pour obtenir des actions concernant les lâchers massifs de petit gibier et de gibier d’eau.

En bref...

Bibliographie

  1. DEMNA (2024) Lâchers de tir et de repeuplement. Rapports Faune-Flore-Habitats du Département de l’Etude du Milieu Naturel et Agricole (SPW ARNE), n°3, Gembloux, 28 pp. 
  2. Loi sur la chasse 1882-02-28/30, 28 février 1882.
  3. Graitson, E. et Taymans, J. (2022) Impacts des lâchers massifs de faisans de Colchide (Phasianus colchicus L.) sur les squamates (Reptilia Squamata), Bull. Soc. Herp. Fr. (2022) 180, 7 p.
  4. Graitson, E. (2007) L’orvet fragile. Anguis fragilis (Linnaeus, 1758). In Jacob J.-P., Percsy C., de Wavrin H., Graitson E., Kinet T., Denoël M., Paquay M., Percsy N. & Remacle A. (Ed.), Amphibiens et Reptiles de Wallonie. Namur (Aves – Raînne et Région wallonne) : 202-211.
  5. Edward C. Holmes,COVID-19—lessons for zoonotic disease. Science 375,1114-1115 (2022).
  6. Feber, R. E., Johnson, P. J., & Macdonald, D. W. (2020). Shooting pheasants for sport: What does the death of Cecil tell us?. People and Nature, 2(1), 82-95.
  7. Jahren, T., Lian, M., & Willebrand, T. (2023). Evaluating effects from releasing hand-reared common pheasant (Phasianus colchicus) and grey partridge (Perdix perdix) on biological diversity and animal welfare in Norway.
  8. Parlement wallon. Session 2003-2004. Proposition de résolution déposée en conclusion du débat relatif à la problématique de la chasse par M. A. Pieters, Mme N. Docq, M. P. Boucher et Mme A.-M. Corbisier-Hagon. 629 (2003-2004) — N° 1. 16 décembre 2003.
  9. Royal Saint-Hubert Club de Belgique (2024, 26 mai). Charte belge pour une chasse respectueuse. RSHCB.
  10. Wolwertz, A. (2024, novembre). Une charte pour une chasse respectueuse : Elevage et lâcher de petit gibier : pas de discussion ? L’Avenir
  11. Parlement wallon. Session 2024-2025. Compte-rendu intégral. Séance publique de commission. Commission de l’agriculture, de la nature et de la ruralité. CRIC n° 18 (2024-2025) 2 e session de la XIIe législature. 3 octobre 2024.
  12.  

Notre collectif, regroupant plus de 80 associations a pour but de faire évoluer la loi sur la chasse afin qu’elle prenne en compte les diverses sensibilités de la société (bien-être animal, biodiversité, activités socio-récréatives en forêt). 

Associations fondatrices :

Inscrivez-vous à notre newsletter !

Inscrivez-vous à notre newsletter !

Soutenez-nous
Aidez-nous à mettre fin aux dérives de la chasse en Wallonie !
Inscrivez-vous à notre newsletter !

Agissez maintenant !

Agissez maintenant
Nom
Nom
Prénom
Nom
Ensemble, engageons-nous pour faire modifier la loi belge dont le fondement datant de 1882 ne tient pas compte des réalités du 21ème siècle en ce qui concerne:

  • la perte dramatique de biodiversité,
  • le bien-être animal,
  • les aspirations sociétales.

Oeuvrons tous ensemble pour enrayer la chute de la biodiversité wallonne en optant pour une meilleure gestion de la faune sauvage.

Chaque année, des centaines de milliers d’animaux meurent du fait de la chasse dont une bonne partie dans d’inutiles et atroces souffrances. Nous ne pouvons plus tolérer cette maltraitance de la faune sauvage.

Exigeons que le gouvernement mette fin aux dérives de la chasse qui déstabilisent l’ensemble des écosystèmes en mettant en oeuvre les dispositions législatives nécessaires pour réformer la chasse en profondeur en la mettant en concordance avec notre époque et les aspirations de la majorité des citoyens qui ne comprend plus que le bien-être animal ne soit pas mieux pris en compte.

Case à cocher