La destruction irraisonnée du renard roux Vulpes vulpes en Wallonie

La destruction à grande échelle du renard sur les territoires de chasse illustre les effets néfastes des dérives de la chasse au petit gibier et au gibier d’eau. En Wallonie, le Renard roux n’est pas l’ami du monde de la chasse à cause des dégâts qu’il causerait en tant que prédateur dans les basses-cours et les plaines et parce qu’il peut être porteur de maladies potentiellement dangereuses pour l’homme. Cette situation a conduit le législateur, sous la pression du monde de la chasse, à autoriser sa destruction tout au long de l’année. Cet acharnement contre le renard repose sur de vieux préjugés dépourvus de fondements scientifiques, mais qui restent vivaces.

En Flandre, Koen Van Den Bergen s’est appuyé sur de nombreux articles scientifiques pour traiter (1) de ce sujet. Il rappelle que le renard est accusé depuis des décennies par le lobby de la chasse de poser problème. Il menacerait les élevages de volailles, le petit gibier, la biodiversité et représenterait un danger sanitaire. Cependant, la motivation réelle de la destruction systématique du renard vise à supprimer la prédation qu’il exerce sur le petit gibier. En effet, la logique et l’intérêt du chasseur est d’empêcher les renards de pénétrer dans les territoires de chasse afin de mettre à l’abri les faisans et les canards colverts issus d’élevages qu’il a achetés et lâchés en masse dans la nature afin d’augmenter artificiellement son tableau de chasse. Un autre argument avancé est que le renard serait menaçant pour la biodiversité en s’attaquant à l’avifaune nichant au sol, capturant les œufs et les nichées. 

Il existe pourtant un large consensus dans les milieux scientifiques pour affirmer que les pratiques agricoles actuelles sont la cause première et principale de la disparition des oiseaux des champs et des prairies dans les paysages agricoles (2). Le remembrement, le gigantisme des parcelles agricoles dépourvues de haies et de bosquets et l’usage massif des pesticides sont relégués au second plan dans le discours du chasseur.

Le renard est également pourchassé parce qu’il n’aurait pas de prédateurs naturels. Mais quel est le prédateur qui pourrait en éliminer autant que les chasseurs ?

L’écologie du renard (3)

Par son rythme de vie et son comportement social, le renard a tendance à occuper en faible densité un territoire dont la dimension et les contours varient selon les caractéristiques physiques et la disponibilité en nourriture du biotope. Ces contours dépendent, selon les saisons, du relief, de l’hydrographie, de la présence d’axes routiers, de l’habitat humain, etc. Plus les ressources alimentaires sont abondantes, plus petit sera son rayon d’action qui sera habité par un « groupe spatial » : un couple, une ou deux femelles subalternes de la portée précédente et quelques jeunes qui se dispersent rapidement à la fin de l’été. 

Pour mettre bas ou se cacher, le renard creuse un terrier, principalement habité au moment de la mise bas en fin d’hiver et durant le nourrissage des renardeaux, au printemps et en début d’été. Dès qu’ils se nourrissent par eux-mêmes, les renards subadultes quittent le domaine familial de leurs parents afin de trouver une zone où ils vont pouvoir s’établir. Ce processus se nomme la « dispersion ». Elle se fait à relativement faible distance, de l’ordre de 15 km en moyenne en Flandre (1). Elle permet la recolonisation des espaces désertés, comme ce fût le cas après l’éradication de la rage vulpine, obtenue grâce à la vaccination à la fin du vingtième siècle. En revanche, dans les régions à densité normale, là où n’y a pas de chasse, les femelles régulent leur fécondité et le renard se reproduit alors beaucoup moins, les lieux étant déjà bien occupés.

Le renard utilise un terrier pour mettre bas, puis les jeunes se dispersent en moyenne sur 15 km pour recoloniser des territoires libres, tandis que dans les zones non chassées, la densité naturelle régule d’elle-même sa reproduction.
(
Photo : Jean Delacre)

Le renard et les poulaillers

Comme tout prédateur, le renard est un animal opportuniste au régime alimentaire varié. Il est partisan du moindre effort. Et il ne dédaigne pas les volailles, surtout à la période du nourrissage des renardeaux au printemps et en été. Il est même parfois un adepte du « surplus killing » (3) lorsqu’il entre dans un élevage pour attraper une poule et qu’il se met, dans son excitation, à en tuer d’autres, bien qu’il ne puisse même pas les manger ou les emporter.

Plutôt que de pourchasser ou d’empoisonner un renard qui sera vite remplacé par le processus de dispersion, une solution simple et définitive consiste à protéger les poulaillers pour empêcher les intrusions.

Le renard, un concurrent du chasseur

Les poules ne constituent cependant qu’une petite partie des proies du renard qui se nourrit d’une large gamme d’aliments : les campagnols (terrestres ou des champs) et les lapins sont ses proies préférés, mais il consomme aussi des oiseaux, des insectes, des vers de terre, des fruits tombés au sol et même des charognes (4).

Toutefois, pour le chasseur, le renard est un concurrent qui prédate « son » gibier (5) (faisans, perdrix, lapins, lièvres, colverts) pendant la période de reconstitution des populations qui seront chassées plus tard en période d’ouverture de la chasse (6). C’est pourquoi le chasseur souhaite éliminer le renard qui diminue la quantité de ses cibles au printemps et au début de l’été, périodes où les populations de petits gibiers d’élevage sont les plus abondantes en raison des lâchers massifs dans la nature (7). Cette réduction drastique des populations du renard est autorisée par la loi sur la chasse. 

Pourtant, c’est peu dire que la destruction systématique du renard est inefficace, car elle se répète tous les jours, d’année en année : tout territoire laissé vacant est systématiquement repris par un renard itinérant en dispersion ou par un individu voisin.

Les lâchers massifs de faisans et de canards colverts d’élevage, proies des renards

Chaque année, des centaines de milliers de faisans de Colchide et de canards colverts provenant d’élevages, le plus souvent importés, sont lâchés dans la nature à des fins cynégétiques. Les chasseurs les protègent des prédateurs car ils sont destinés à être abattus lors de la prochaine période de chasse. Ces animaux n’ont évidemment aucune vocation à repeupler les territoires de chasse, ils représentent plutôt de grosses dépenses qu’il s’agit de rentabiliser dans le cadre d’une activité de loisir. 

Incapables de survivre, ni de se reproduire, dans la nature et nourris artificiellement avant l’ouverture de la chasse, ce gibier artificiel est élevé et transporté dans des conditions maltraitantes, sans aucun contrôle de l’AFSCA (8) et sans aucune restriction légale (9). Relâchés annuellement en très grand nombre dans les territoires de chasse,  ces animaux sont nourris artificiellement dans des écosystèmes dégradés qui leur sont inconnus. Ils ne peuvent y trouver de la nourriture naturelle en suffisance et ne peuvent s’y reproduire ou se protéger (10).

Plus de 200 000 oiseaux d’élevage – faisans et canards colverts confondus – sont importés chaque année en Wallonie (source : AFSCA)

Ce mode de chasse est donc totalement absurde : 

  • des faisans et des colverts provenant d’élevages, principalement, sont introduits artificiellement dans la nature afin de pouvoir les tirer
  • ces introductions se font massivement, bien au-delà des ressources alimentaires et des habitats que peuvent offrir les zones où se pratiquent les lâchers;
  • en conséquence, le renard profite de l’aubaine et se nourrit de ce gibier d’élevage inadapté à vivre dans son nouvel environnement;
  • en même temps, ce renard est pourchassé afin de protéger le gibier introduit artificiellement;
  • mais cette destruction est inutile à cause du phénomène de dispersion et de l’autorégulation de la population vulpine;
  • de plus, les lâchers provoquent d’insupportables nuisances pour les riverains des territoires de chasse.

Rage, ténia du renard, maladie de Lyme : une menace pour la santé publique ?

Le virus de la rage se transmet d’un mammifère, généralement carnivore infecté (chien, chat, renard) à un autre animal ou à l’homme. Les contaminations se font essentiellement par morsure. 

Quand, dans les années 1950, la rage en provenance de l’est de l’Europe s’est propagée dans nos contrées, le renard a été pointé comme le principal vecteur de la maladie et une chasse impitoyable aux renards a alors commencé. En essayant de réduire la population vulpine par tous les moyens, on pensait juguler la propagation de cette maladie virale souvent mortelle. La chasse intensive aux renards, mais aussi le gazage des terriers n’ont pourtant eu quasiment aucun impact sur les populations de renards déjà affaiblies par la rage. Les autres habitants de ces tanières, notamment les blaireaux, qui passent presque toute la journée dans leur terrier, ont par contre vu leur population être décimée, voire au bord de l’extinction. C’est seulement dans les années 1980 et 1990 qu’ont débuté les premières vastes campagnes de vaccination et que la rage a été endiguée au point que le Luxembourg et de nombreux autres pays d’Europe centrale sont aujourd’hui déclarés indemnes de rage. Les appâts contenant du vaccin, généralement des comprimés composés de farine de poisson congelée, dans lesquels est dissimulée une capsule de vaccin, ont été utilisés dans tout le pays.

Ainsi, malgré les campagnes répétées d’extermination du renard pour lutter contre la rage, cette maladie ne disparut pas. Elle ne fit que progresser : la destruction des renards eut pour effet de déséquilibrer la structure sociale de leurs populations avec pour conséquence collatérale de favoriser la fécondité des renardes et de pousser les mâles à de longs déplacements à la recherche de zones libres. Cela multiplia les risques de contamination par l’arrivée d’animaux originaires des zones adjacentes. En conséquence, après avoir été drastiquement réduite par la chasse et le piégeage, par les poisons, le gazage des terriers, ou encore par les maladies comme la gale, les populations du renard se sont reconstituées rapidement grâce à la remarquable autorégulation de la fécondité de l’espèce et à l’immigration d’individus à la recherche d’un domaine vital. 

Lorsque la rage disparut grâce à la vaccination, un nouveau danger apparut. Sans effets négatifs pour le renard, la transmission du Ténia (Echinococcus multilocularis) du renard à l’homme (12) qui consomme des aliments crus contaminés par les œufs de ce ténia peut provoquer une grave maladie du foie. 

La chasse massive des renards dans les années 1950 n’a pas endigué la rage, qui n’a disparu qu’avec les campagnes de vaccination par appâts dans les années 1980-1990, tandis que la régulation naturelle des renards a vite reconstitué leurs populations et révélé un nouveau risque sanitaire : la transmission du ténia à l’homme.
(
Photo : Jean Delacre)

Le ténia du renard est un parasite qui, à l’état de larve, se cache dans un hôte intermédiaire, généralement une souris. Quand cet hôte est mangé par un hôte définitif, comme le renard (mais aussi le chien ou le chat), les parasites grandissent alors dans l’intestin grêle de cet hôte pour devenir des ténias adultes. Certains ont évoqué l’utilité de la chasse pour protéger les humains du ténia du renard. Or, une étude (13) menée autour de l’agglomération Nancéenne publiée fin 2017 dans la revue scientifique internationale « Preventive Veterinary Medicine » fournit de nouvelles informations intéressantes sur la relation entre le renard, le tir de renards et l’impact sur l’évolution de la prévalence du parasite. En fait, les résultats indiquent 1. que le tir intensif de renards sur trois ans n’a pas eu d’impact mesurable sur la densité de l’espèce, ce qui s’explique en partie par la déstructuration de la population et une meilleure survie des jeunes au vu des territoires libérés par le tir, et 2. qu’avec une augmentation du tir de renards, on observe également une augmentation de la prévalence du parasite, qui peut s’expliquer par un pourcentage plus élevé de jeunes renards dans la population, qui eux sont plus susceptibles d’être contaminés par le parasite.

À nouveau désigné comme bouc émissaire, le renard fut accusé de propager cette échinococcose, ce qui permit de justifier la poursuite de sa chasse. Or, il vaudrait mieux favoriser la prédation des rongeurs afin de réduire les populations des micromammifères qui sont impliqués dans le cycle du parasite. Ce danger de contamination a été grandement écarté par la science. Par exemple, une étude publiée en 2017 (Comte et al 2017 (13)) réalisée dans le Nord-Est de la France par des scientifiques (de l’ANSES, de l’ELIZ, de l’Université de Bourgogne Franche-Comté et de l’Institut Universitaire de France) indiqua, sans équivoque, qu’après 4 ans d’une chasse intensive, la population de renards ne diminua pas mais que le taux de leur contamination grimpa de 40 à 55 %, sans doute dû au fait des déplacements des jeunes renards qui sont plus susceptibles d’être porteurs du parasite. Autre exemple, au Grand-duché du Luxembourg, où la chasse du renard est interdite depuis le 1er avril 2015 : le taux de contamination de l’espèce y a été réduit de 40 à 10% (1).

Les cas d’Échinococcose alvéolaire chez l’homme sont heureusement très rares. Seul un faible pourcentage des personnes ayant ingéré des œufs de l’échinocoque vont développer la maladie (14), ce qui explique la grande rareté de cette maladie. 

Et puis, une autre maladie apparut : celle dite de Lyme. Elle peut être transmise à l’homme, ou à d’autres mammifères,  par les piqûres de certaines tiques qui sont infectées par des bactéries du genre Borrelia burgdorferi. Heureusement, le renard qui consomme ces rongeurs (mulots, campagnols, musaraignes et souris) sur lesquels se fixent les larves des tiques, contribue à limiter la propagation de ces bactéries et, par conséquent, la maladie. Par exemple, des chercheurs néerlandais ayant étudié une vingtaine de parcelles forestières ont constaté une corrélation inverse entre la présence de renards et la densité de tiques. En effet, lorsque les renards sont nombreux, ils prélèvent davantage de rongeurs, réduisant ainsi la présence de larves infectées dans l’environnement. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études. Par exemple, des chercheurs néerlandais qui ont travaillé sur une vingtaine de parcelles forestières ont constaté que plus les renards étaient présents sur un territoire, moins on rencontrait de tiques car les larves présentes sur les rongeurs, capturés par les renards, sont moins nombreuses dans l’environnement et moins porteuses de la bactérie lorsque la densité de la population des renards est élevée (15). 

La destruction systématique des renards favorise donc la prolifération des tiques et de la maladie de Lyme, mais aussi de l’Échinococcose alvéolaire, maladies qui sont moins présentes quand la densité des prédateurs est élevée.

Si on laissait le renard assurer son rôle de prédateur, c’est-à-dire si on arrêtait de le détruire inconsidérément, il pourrait éliminer une partie de ces rongeurs, aidé en cela par les mustélidés et les rapaces dont il faudrait favoriser l’installation.

La présence de renards, en régulant les rongeurs hôtes des tiques, limite la propagation de la maladie de Lyme et de l’échinococcose, tandis que leur destruction favorise au contraire la prolifération de ces maladies.

Le renard, prédateur du petit gibier et des espèces protégées nichant au sol

Un autre argument est évoqué par les chasseurs pour justifier le tir du renard : la prédation qu’il exerce sur le petit gibier comme la perdrix, le faisan, le colvert, le lapin, le lièvre et les oiseaux nichant au sol dans les champs. 

Cependant, il faut analyser le problème globalement, comme le démontre cette recherche récente en Flandre (16) qui indique que les bandes aménagées dans les champs en faveur de la nature sont fréquentées par plusieurs prédateurs terrestres. Parmi ceux-ci, le surmulot est le plus présent, suivi par hérisson, le renard n’intervenant qu’en troisième position, avec le chat et la fouine. Or, le renard a pour principale proie… le surmulot (17) 

Le renard et l’agriculture intensive (18)

La disparition des oiseaux des champs comme la Perdrix grise, le Vanneau huppé, l’Alouette des champs, le Bruant jaune, le Bruant proyer, etc. est due avant tout à la perte et à l’empoisonnement de leurs habitats et de leurs lieux de nidification. Des pratiques agricoles trop intensives basées sur la chimie, les remembrements des terres, les cultures moins variées, les récoltes plus rapides, la disparition de chemins, berges de ruisseau, talus, zones non productives et zones tampon, l’urbanisation, etc. en sont responsables. La disparition des insectes, qui servent de nourriture de base aux oisillons, en est une preuve tangible. Ce phénomène a été clairement mis en évidence en Allemagne (18) jusque dans les réserves naturelles où la disparition de 80 % de la biomasse des insectes volants en 27 ans a été actée. 

Mais il est plus facile d’accuser le renard et d’autres prédateurs que de s’attaquer au véritable défi : la restauration de la nature, dont la Région wallonne doit porter la responsabilité en favorisant durablement une flore et une faune variée.

Les services écosystémiques rendus par le renard

D’une manière générale, la chasse entraîne des pertes significatives de biodiversité par des pratiques qui conduisent à une disparition de la flore et de la petite faune du sol, à l’eutrophisation des étangs, aux pollutions génétiques de la faune sauvage par les lâchers, etc. Cette biodiversité ne semble pas être la préoccupation majeure pour le chasseur qui ne s’intéresse qu’au gibier qu’il “prélève”. 

À contrario, le renard assure de multiples fonctions bénéfiques pour l’écosystème, la faune et la flore en jouant son rôle de prédateur qui est en équilibre écologique avec ses proies. Ainsi, comme ennemi des campagnols, il contribue à l’élimination de milliers de rongeurs (19), ce qui permet aux agriculteurs d’éviter le recours aux rodenticides, dangereux pour l’environnement et les animaux. En outre, le renard chasse en priorité des proies affaiblies, ce qui limite la diffusion des pathogènes. Il joue également un rôle d’équarrisseur naturel en se nourrissant de cadavres d’animaux, même le long des routes. Par ses déjections et la nitrification du sol, il favorise l’installation d’espèces végétales.

Le renard et le bien- être animal

Les lâchers de petit gibier et de gibier d’eau, répétés chaque année, se font au prix de grandes souffrances animales, bien inutiles, tant pour le gibier d’élevage inadapté que pour le renard pourchassé. N’est-il pas légitime de se demander si ce cycle sans fin, inutile et contreproductif est compatible avec le Code wallon du Bien-être animal ?

Conclusion : la réhabilitation du renard (et des autres petits petits prédateurs)

Sans valeur monétaire ou affective et sans propriétaire, il est facile d’accuser le goupil de tous les maux et de le chasser pour son plaisir (3). Les arguments avancés par les chasseurs, toujours suivis sans esprit critique par le Gouvernement wallon, pour justifier le massacre du renard sont : la prédation sur les animaux de ferme et sur le petit gibier, ainsi que la propagation des maladies dont les renards peuvent être porteurs. 

Faut-il comprendre que pour les décideurs politiques, les études scientifiques et les avis des naturalistes ou des écologues sont à prendre moins au sérieux que les préjugés séculaires et les traditions des chasseurs ?
(Photo : Jean Delacre)

Et pourtant…

Presque aucune autre espèce animale en Europe n’éveille autant d’émotions que le Renard roux. Les uns l’adorent car il symbolise la flatterie et la ruse, tandis que d’autres craignent qu’il ne propage maladies et parasites. Certains se réjouissent de sa présence dans les villes et villages et vont même jusqu’à l’attirer avec de la nourriture, d’autres préféreraient qu’il soit complètement éradiqué. Bon nombre de préjugés au sujet du renard sont basés sur l’ignorance humaine: il est temps de jeter une lumière objective sur cet animal sauvage célèbre, mais malheureusement souvent méconnu, de diffuser les connaissances biologiques sur le renard roux et de rendre celles-ci accessibles au grand public.

Le renard a survécu aux multiples techniques d’élimination qu’il a subies au vingtième siècle. Mais sa destruction systématique s’est avérée vaine, car les territoires vidés de sa présence ont stimulé sa reproduction et la dispersion de ses jeunes dans l’arrière saison, reconduisant ainsi sa présence généralisée !

En règle générale, la principale menace planant sur les populations de proies est celle posée par l’intervention anthropogène. Sans amélioration considérable des conditions d’habitat, les efforts de réduction des prédateurs seront un gaspillage de temps et de ressources.Du point de vue de la gestion moderne du gibier, il faut en effet une évaluation écologique de la population, mais plus important encore, il faut réfléchir à l’efficacité et à la mise en œuvre pratique des mesures prévues. Il a en effet été démontré de plusieurs manières que la lutte contre les prédateurs limitée au niveau local entraîne une augmentation des populations de proies. Concrètement de telles mesures ne pourront être couronnées de succès que si elles sont déployées efficacement et sur des surfaces relativement petites, d’à peine cent hectares. Réduire significativement et durablement les populations de renards par le biais de la chasse et dans le cadre de mesures régionales de protection des espèces reste irréaliste sur de grandes surfaces. Faut-il maintenir la chasse au renard à des fins de protection d’espèces rares? Cette question n’a à ce jour pas trouvé de réponse, car il s’agit en partie d’une question éthique. Il est néanmoins certain que la protection des espèces ne peut fonctionner qu’à partir du moment où un habitat approprié est disponible. Alors seulement il sera possible de réfléchir à la question de savoir si la chasse peut contribuer à la conservation d’une espèce en danger dans la région et si le « prix » à payer est justifié … Une réduction efficace du nombre de prédateurs, quand elle est possible, ne peut se faire que sur des surfaces limitées. Comme l’a montré l’exemple de la lutte contre la rage, il est très difficile de réduire durablement et à grande échelle la population de renards sur de grandes surfaces.

En l’absence de fondement scientifique pour justifier la destruction du renard, les alternatives non létales doivent être privilégiées. Le principe de précaution et le respect du bien-être animal voudraient que des alternatives et des mesures préventives soient privilégiées. Ce n’est qu’en dernier recours que l’abattage ou le piégeage des renards devrait être mis en œuvre, de façon temporaire, proportionnée, localisée dans l’espace et motivée sérieusement. Par exemple, le tir du renard peut se justifier dans les Hautes Fagnes durant les efforts de renforcement de la population du Tétras lyre qui y sont en cours. Ou lors d’une opération de repeuplement de la Perdrix grise menée dans le cadre d’un plan de gestion sérieux, avec interdiction de chasse. 

Quant à la protection durable des oiseaux des champs, elle ne peut être atteinte que par une “verdurisation” des terres agricoles accompagnée d’un réaménagement (plantations de haies, mesures agri-environnementales MAEC, maillage écologique, etc.) des terres (20).

Citons encore le Dr Johan Michaux de l’Université de Liège dans le premier livre blanc du collectif paru en 2021: “Parmi les dérives les plus aberrantes de la chasse, il est à noter, entre autres, la destruction de nos populations de renards, sans aucun fondement scientifique. Au contraire, de nombreuses études récentes ont démontré que le renard constitue un allié de choix pour les agriculteurs, pour la lutte contre les pullulations de rongeurs. Le renard contribue également à limiter la propagation de la maladie de Lyme, en pleine expansion dans notre pays, en régulant les rongeurs hôtes de la bactérie responsable de ce syndrome” (21).

Alors, comment comprendre cet acharnement envers le renard en Wallonie, alors que sa chasse est déjà interdite au Luxembourg (11) et que, selon les services de la Région wallonne, “Les lâchers de tir devraient être systématiquement interdits pour toutes les espèces de gibier d’eau et de petit gibier, à l’exception discutable du faisan de Colchide (10)”, interdiction qui permettrait l’arrêt du tir de ce petit prédateur.

Une mesure importante à prendre serait d’inscrire la chasse dans le contexte général de la protection de la nature et de la biodiversité et de revoir prioritairement la composition et la représentativité démocratique du Pôle ruralité, dont la section chasse est la seule à pouvoir remettre un avis – qui devrait être d’intérêt général – au gouvernement en matière cynégétique. 

Les compétences ministérielles en manière de chasse s’accompagnent de celles relatives à la nature et à l’agriculture. Elles devraient s’inspirer de la littérature scientifique qui démontre, au-delà d’une révision des pratiques agricoles intensives qui sont à revoir pour plus de durabilité, que recourir au tir d’espèces comme le renard afin de réduire les « méfaits » qui lui sont attribués n’est pas une solution efficace (22) et que les lâchers de gibier d’élevage favorisent les zoonoses, dont la maladie de Lyme (23). 

Malheureusement, les « marchands de doute  » (24) ne manquent pas pour défendre des intérêts particuliers qui ne bénéficient pas à la collectivité.

Références

  1. En die vos kwam weer. Koen Van Den Berge, Natuur Focus nr 1 mars 2025.
  2. Hoe goed gaan landbouw en natuur samen ? Naar herstel van biodiversiteit in landbouwlandschappen. Natuurfocus, 2024,  Honnay, Olivier (KUL).
  3. Vivre en renard. La traversée du siècle. Nicolas Baron. ACTES SUD, 2023.
  4. L’illogique chasse au renard. Michel David. L’Homme et l’Oiseau. 2021 n° 2.
  5. L’animal sauvage est juridiquement “res nullius”, c-a-d qu’il n’appartient à personne. Les animaux d’élevage deviennent juridiquement sauvages lorsqu’ils sont lâchés dans la nature, comme les faisans ou les colverts. Ils redeviennent la propriété du chasseur lorsqu’il sont tirés …
  6. AGW 2020-2025.
    Articles 10 : “les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse à tir au petit gibier sont fixées comme suit : pour le faisan : du 1er octobre au 31 janvier ; pour le lièvre : du 1 er octobre au 31 décembre.
    Article 15 : pour le canard colvert : du 15 août au 31 janvier.
  7. Selon la loi sur la chasse, “le transport et le lâcher du petit gibier vivant et du gibier d’eau vivant sont autorisés depuis le lendemain du jour de la fermeture de la chasse jusqu’au trentième jour précédant l’ouverture de celle-ci à l’espèce concernée.
  8. Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire
  9. L’article 12 de la loi sur la chasse n’a jamais reçu d’arrêté d’application (origine, quantité, état sanitaire, possibilités d’accueil du milieu, etc.) concernant les lâcĥers de petit gibier ou de gibier d’eau  (faisans, colverts) autre que les dates d’autorisation de leur chasse. 
  10. Lâchers de tir et de repeuplement. Note du DEMNA. Mars 2024.
  11. Le renard au Luxembourg. Le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg. Ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable. Administration de la nature et de la forêt. 2019.
  12. Echinococcus multilocularis est un petit ver parasite responsable d’une grave maladie du foie chez l’homme, l’échinococcose alvéolaire.
  13. Echinococcus multilocularis management by Fox culling. An inappropriate paradigm. Preventive veterinary medicine. Comte S. et al. 2017. À l’automne 2017, ont cosigné un article dont le titre est sans équivoque : « La gestion de Echinococcus multilocularis par l’élimination des renards : un paradigme inapproprié ».
  14. Echinococcose  Alvéolaire : viabilité parasitaire et évaluation de nouveaux biomarqueurs pour le diagnostic et le suivi des patients”. Alice Baraquin.Thèse de biologie moléculaire, Université de Bourgogne Franche-Comté.2019.
  15. Cascading effects of predator activity on tick-borne disease risk”. Tim R. Hofmeester et al. Proceedings of the Royal Society B. Vol 284, 2017, art. n° 28420170453.
  16. Effecten van beheerovereenkomsten op populaties van landbouwvogels in vlaanderen”. Luc De Bruyn, Koen Devos, Koen Van Den Berge, Glenn Vermeersch, Filiep T’jollyn. 2019. Instituut Natuur-en Bosonderzoek.
  17. Science–policy challenges for biodiversity, public health and urbanization: examples from Belgium”. H Keune, C Kretsch, G De Blust, M Gilbert, L Flandroy, K Van den Berge, V Versteirt, T Hartig…Environmental Research Letters, 2013•iopscience.iop.org
  18. More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. Caspar A. Hallmann, Martin Sorg, Eelke Jongejans, Henk Siepel, Nick Hofland, Heinz Schwan, Werner Stenmans, Andreas Müller, Hubert Sumser, Thomas Hörren, Dave Goulson, Hans de Kroon. 2017.
  19. Par renard, plus de 6000 rongeurs par an. “La Hulotte” n° 33/34.
  20. Een slimme zonering van landgebruik verzoent landbouwproductie , biodiversiteit en klimaat. Natuurfocus, 2021,  Honnay, Olivier (KUL).
  21. Stop aux Dérives de la Chasse en Wallonie. Livre blanc. 2021
  22. Les prélèvements des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) réduisent-ils les dégâts qui leur sont imputés ? Synthèse de connaissances. Paris, France : Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Zemman C., Langridge J., Plancke M., Garnier M., Soubelet H., 2023. 
  23. The Release of Non-Native Gamebirds Is Associated With Amplified Zoonotic Disease Risk. Emile Michels, Kayleigh Hansford, Sarah E. Perkins, Robbie A. McDonald, Jolyon M. Medlock, Barbara Tschirren. Ecology Letters. Volume : 28. Numéro : 4. Avril 2025.
  24. Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Climate Change – 26 février 2015 – Naomi Oreskes (Author) , Erik M. Conway (Author).

Notre collectif, regroupant plus de 80 associations a pour but de faire évoluer la loi sur la chasse afin qu’elle prenne en compte les diverses sensibilités de la société (bien-être animal, biodiversité, activités socio-récréatives en forêt). 

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Oeuvrons tous ensemble pour enrayer la chute de la biodiversité wallonne en optant pour une meilleure gestion de la faune sauvage.

Chaque année, des centaines de milliers d’animaux meurent du fait de la chasse dont une bonne partie dans d’inutiles et atroces souffrances. Nous ne pouvons plus tolérer cette maltraitance de la faune sauvage.

Exigeons que le gouvernement mette fin aux dérives de la chasse qui déstabilisent l’ensemble des écosystèmes en mettant en oeuvre les dispositions législatives nécessaires pour réformer la chasse en profondeur en la mettant en concordance avec notre époque et les aspirations de la majorité des citoyens qui ne comprend plus que le bien-être animal ne soit pas mieux pris en compte.

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