Dans le calme apparent de Saint-Fontaine, un petit hameau situé sur le commune de Clavier, en province de Liège, se joue une controverse qui trouble la quiétude de ses habitants et illustre très bien les nombreuses dérives de la chasse actuelle en Wallonie.
Chaque année, des milliers de faisans et de canards sont importés en camion, nourris au cœur du village, puis lâchés pour être chassés dans des conditions pour le moins discutables, voire scandaleuses.
Le 19 août dernier, une scène surréaliste s’est à nouveau déroulée sur trois étangs de la localité, transformant ces paisibles plans d’eau en arènes de tir sur cibles vivantes, à quelques dizaines de mètres seulement des premières habitations. Appelés au sifflet, des canards et des faisans sont tirés par milliers, sans état d’âme et ce durant plus d’une heure. Ce massacre, en plus de poser un problème éthique majeur, cause des nuisances inadmissibles, tant pour les riverains que pour l’environnement.
La grippe aviaire, qui a eu un impact considérable dans la région de Clavier l’an dernier, suscite des inquiétudes quant à la propagation de maladies non seulement au sein des élevages avicoles, mais aussi pour la faune sauvage. La présence massive de gibiers d’élevage, relâchés dans un environnement déjà fragilisé, agit comme un amplificateur de cette crise, mettant en péril la biodiversité locale et exposant la communauté à des risques sanitaires accrus. Des rapports de l‘EFSA et de l’OMS Europe indiquent que la grippe aviaire présente effectivement un risque de mutation pouvant affecter les humains.
Les conséquences environnementales et sanitaires ne s’arrêtent pas là. La pollution des eaux, la destruction de la biodiversité par une compétition accrue pour les ressources, et l’impact des munitions au plomb sont autant de problématiques qui méritent une attention soutenue. Enfin, les nuisances sonores et la perturbation de la tranquillité publique viennent s’ajouter à un tableau déjà fort sombre, affectant la qualité de vie des riverains et des animaux domestiques.
Face à ces enjeux, le principe de précaution (article 191 §2 du Traité de l’Union Européenne) devrait être une des boussoles guidant l’action politique. Il est impératif que les responsables politiques, en charge de la santé, de l’environnement, de la chasse et de l’économie prennent leurs responsabilités pour interdire des pratiques d’un autre âge qui s’avèrent à la fois absurdes et menaçantes pour les populations animales mais aussi humaines.
En Flandre, et dans certains pays voisins, les lâchers de petit gibier et de gibier d’eau provenant d’élevages sont d’ores et déjà interdites. Il est temps que la Wallonie suive cet exemple pour protéger ses citoyens et ses biotopes naturels. La chasse aux petits gibiers doit être pratiquée de manière responsable, durable et éthique, en harmonie avec les principes de conservation et le bien-être de la faune et le maintien de la flore sauvages
Après deux décennies de nuisances à cause de ces pratiques déviantes, la population locale a réagi cette année à l’occasion d’une énième chasse pour interpeller les acteurs politiques concernés.
Ces lâchers massifs sont et restent ponctuels à l'échelle de la Wallonie et j'estime ce genre de "lâcher" comme un complément nécessaire aux efforts d'aménagement des chasseurs. La petite faune des plaines n'est pas menacée par la chasse mais bien par la dégradation et la perte de son habitat et par une prédation croissante [...]. C'est pourquoi je pense qu'il n'y a pas lieu d'interdire les actions de lâchers soutenant les populations de petit gibier.
Willy Borsus, ministre de la Chasse
Dans sa réponse, le ministre chargé de la chasse, M. Willy Borsus, avance l’argument selon lequel la petite faune des plaines n’est pas menacée par la chasse mais plutôt par la dégradation de son habitat et par une prédation croissante, notamment des corvidés en expansion. En plus de l’absence de documentation scientifique appuyant ces affirmations, cette position est inadmissible car elle légitime les pratiques de chasse ultra-privées qui bénéficient uniquement à un petit nombre de privilégiés, au détriment de la qualité de vie des habitants et de l’environnement. Ces échanges mettent en lumière la contradiction entre le discours du ministre, qui se veut en faveur du développement d’activités garantissant une durabilité environnementale, et la réalité des lâchers massifs d’animaux qui posent des risques sanitaires et environnementaux bien au-delà des simples « désagréments » évoqués par le ministre.
Après avoir également contacté M. Georges-Louis Bouchez, Président du MR, à ce sujet, le collectif Stop Dérives Chasse a obtenu en réponse une vision de la chasse radicalement différente. Le président du MR insiste ainsi sur l’équilibre entre conservation de la faune et respect des communautés locales, mettant en avant la nécessité de réguler les populations, protéger les habitats et éduquer chasseurs et public sur des pratiques éthiques de chasse. Il prône également l’implication des communautés locales dans la gestion de la faune et la prise de décision relative à la chasse, afin de favoriser une acceptation sociale de cette activité.
Ce positionnement contraste avec celui de Willy Borsus, qui minimise les impacts de certaines pratiques de chasse sur l’environnement et les populations touchées.
Suite à ces réponses contradictoires, fin 2023, nous avons demandé des clarifications au Président du MR ainsi qu’une prise de position concernant l’arrêt des lâchers de gibier d’élevage pour le tir. A ce jour, le collectif attend toujours une réponse du Président, plutôt que la langue de bois du parti à quelques mois des élections.
Notre collectif, regroupant plus de 80 associations a pour but de faire évoluer la loi sur la chasse afin qu’elle prenne en compte les diverses sensibilités de la société (bien-être animal, biodiversité, activités socio-récréatives en forêt).
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