Le recours du Royal Saint Hubert Club contre l’arrêté communal de Stoumont interdisant le nourrissage du grand gibier se voit rejeté.
A l’heure où l’Union Européenne vient d’adopter un règlement relatif à la restauration de la nature, le Conseil d’Etat vient de confirmer le pouvoir réglementaire des communes dans le cadre de la loi sur la conservation de la nature.
En 1995, le législateur a apporté une modification de la loi sur la conservation de la nature en intégrant l’article 58 quinquies qui donne la possibilité aux Communes de prendre des arrêtés visant à assurer une plus grande protection des habitats et des espèces que celle prévue au niveau régional.
En vertu de cette autonomie, la commune de Stoumont a émis en septembre un arrêté qui interdit tout nourrissage du grand gibier sur toute la commune excepté dérogation vivement justifiée. Mécontents, les chasseurs (le Royal Saint-Hubert Club notamment) et le syndicat des propriétaires (NTF Nature, Terres et Forêts asbl) ont introduit un recours en suspension contre l’arrêté auprès du Conseil d’État. Celui-ci a rejeté le recours ce 11 juillet, confirmant l’autonomie des communes en matière de conservation de la nature.
Quatre à cinq fois trop de cervidés et de sangliers
Il faut savoir qu’à Stoumont, la quantité de cervidés et de sangliers est quatre à cinq fois supérieure à ce que la forêt peut accueillir, notamment à cause d’un nourrissage excessif, assimilable à un élevage en pleine nature. Tout cela pour accroître les possibilités de tirer sur des animaux et ainsi satisfaire le plaisir de certains.
Cette surcharge d’animaux dits « sauvages » cause une dégradation importante de la biodiversité en forêt ainsi que des dégâts excessifs aux arbres et aux cultures. Alors que les changements climatiques devraient nous conduire à accroître la résilience des forêts, celle-ci est fortement compromise par l’impossibilité de diversifier les essences, dont les jeunes plants sont immédiatement broutés ou déracinés par le grand gibier en surnombre.
Le Ministre de la chasse n’a pas pris ses responsabilités
Ce problème n’est nullement limité à la commune de Stoumont et s’étend sur des dizaines de milliers d’hectares en Wallonie. Malgré l’insistance de plusieurs communes ainsi que de nombreux propriétaires forestiers, agriculteurs et environnementalistes, le Ministre Borsus, ayant la chasse dans ses attributions, n’a pas bougé sous la pression de certains chasseurs.
Face à cette inaction lésant l’intérêt général, Stoumont a eu le courage de prendre ses responsabilités en adoptant un arrêté communal interdisant tout nourrissage sur base de la loi sur la conservation de la nature. L’article 58 quinquies prévoit que tout arrêté communal doit être avalisé par le Gouvernement, en l’occurrence dans le cas présent la Ministre Tellier, ce qu’elle fit sans hésiter.
La loi sur la conservation de la nature permet d’être plus restrictif que la loi sur la chasse s’il y a dégradation de la biodiversité
Pour d’aucuns, il était impensable que la loi sur la conservation de la nature puisse imposer des restrictions plus importantes que celles de la Région en matière de chasse. Il n’en est rien, et le Conseil d’Etat argumente « Il s’agit donc bien d’assurer la protection des espèces animales et végétales non gibiers. L’interdiction du nourrissage artificiel du grand gibier afin de contribuer à remédier à une prolifération de ce gibier de nature à nuire à la protection des espèces végétales et animales non gibiers et du biotope forestier, ressortit au domaine de la police de la conservation de la nature. La mesure et l’objectif poursuivi par le règlement attaqué entrent dans le champ d’application de la police de la conservation de la nature. »
Les communes ont un pouvoir qu’elles doivent utiliser plus souvent
Quelles leçons en tirer ? Pour assurer la protection de la nature dont on sait aujourd’hui qu’elle subit une dégradation continue importante, les communes ne peuvent plus se retrancher derrière le fait qu’elles n’ont pas de pouvoir en cette matière. Même si les compétences relèvent d’autres législations comme la loi sur la chasse, le Code forestier et/ou le Code de l’aménagement du territoire par exemple, dans la mesure où il s’agit de la protection des espèces animales et végétales ou de leur milieu, elles ont le pouvoir de réglementer.
Cet arrêt en suspension du Conseil d’Etat, qui devra encore être confirmé par un arrêt en annulation dans plusieurs mois (entre-temps l’interdiction de nourrir est bien effective), nous apporte un éclairage judicieux sur la portée de l’article 58 quinquies de la loi sur la conservation de la nature. Espérons que d’autres communes auront le même courage que la commune de Stoumont, que nous félicitons ici, pour prendre en main cette protection de la biodiversité si vitale pour l’avenir de l’espèce humaine.